Amour – « Personne n’a aimé comme j’ai aimé. Pourtant il y eut d’autres femmes. J’ai vécu d’autres matins après la nuit de Londres. C’est avec une sombre joie que je brûlerai mes manuscrits pour vivre à nouveau un pareil amour (…) » (Géométrie d’un rêve, page 11)

Amaya – « Chaque rêve rassemble en une tresse magique les fils épars de la mémoire. Amaya n’a pas bougé de mon souvenir. Comme les figures de laque d’une miniature shintoïste, nous ne cessons de voguer sous les ponts d’un fleuve stellaire. Je la retrouve à mon gré dans son studio du troisième étage ou parmi les érables, dans les boucles de la rivière Hozugawa. » (page 196)

Chasseur continental – C’est le titre d’une peinture, la seule qui échappa à l’incendie criminel du château de Forbrune en 1942 où vivait le maître de Lassis et sa fille Aurore. Ce chef-d’œuvre sauvé éclaire de sa violente énigme tout le récit, comme s’il était empreint d’un pouvoir sur quiconque le regarde.

Cornouaille – La configuration fractale des côtes de Cornouaille, en écho au monde escherien du romancier, recèle une sorte de vertige lié à la toute présence de l’Océan.

Fedora – « J’ai connu des jours heureux avant Fedora, toute une vie à laquelle elle ne participait d’aucune façon. Qu’elle eût pu exister quelque part et n’être alors rien pour moi semble presque impossible tant l’amour bouleverse le temps et le réinvente. » (page 27)

Guerre – La Seconde Guerre mondiale, par ses bouleversements tant géographiques qu’ethnographiques jusque dans l’imaginaire des peuples, règne encore de manière plus ou moins occulte sur les esprits. Le roman contemporain en témoigne largement. On pourrait même proposer une analyse de ses résurgences dans toute œuvre de fiction. Le narrateur de Géométrie d’un rêve constate à ses dépens la prégnance des retombées psychologiques, les effets récurrents pervers d’une guerre dont nous sommes encore tous les acteurs maudits sans même nous en rendre compte.

Haïku – « Mémoire intempérante! Je me sens parfois plus imbibé de souvenirs et de songes qu’un ivrogne d’alcool. Un célèbre haïku de Bashô illustre assez bien cette impression:
Au fond de la jarre
sous la lune d’été,
une pieuvre rêve »
(page 23)

Ile d’amour – Sujette aux inondations, la plus petite des îles de l’archipel de la Marne à hauteur de Nogent (que l’auteur crut pouvoir acquérir naguère pour le prix d’un studio parisien) accroche nombre légendes et rumeurs dans la mémoire des riverains. Le narrateur croit se souvenir y avoir été l’otage d’un fameux Pirate.

Journal intime – Concurremment et dans le prolongement du roman épistolaire du XVIIIe siècle (Julie ou la Nouvelle Héloïse ou les Liaisons dangereuses), le roman sous forme de journal intime, narrateur et protagoniste confondus, est sans doute né avec les Proscrits de Nodier en 1802, mais dans l’indécision du genre, mi confession mi journal, et sous l’impulsion du Werther de Goethe, bien des chefs d’œuvre peuvent s’en réclamer peu ou prou, comme Adolphe, sous-titré anecdote trouvée dans les papiers d’un inconnu, et publiée de Benjamin Constant (1816) ou l’Oberman de Senancour. Bien des journaux intimes sont d’authentiques romans vrais par ailleurs (comme ceux des acteurs ou des martyrs de l’Histoire), à l’exclusion des mémorialistes qui tuent la fiction par le culte du moi. Le réalisme s’emparera abondamment du genre, jusqu’à ses limites expressionnistes ou fantastiques. Citons le Horla de Maupassant, le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau, le Crime de Sylvestre Bonnard d’Anatole France, l’Inconnu de Paul Hervieu où l’on suit le délire d’un aristocrate russe interné, le Gardien du feu, d’Anatole le Braz, journal d’un gardien de phare de la pointe du Raz, ou plus proche de nous le Journal d’un curé de campagne de Bernanos ou la Nausée de Sartre. Une autre manière de faire usage du genre rapprocherait plutôt Géométrie d’un rêve (où un écrivain assied son roman sur l’impossibilité même d’une fiction narrative) d’œuvres atypiques comme le Journal d’un séducteur de Kierkegaard ou ce sommet de l’intériorité éclatée qu’est le Journal de Kafka.

Ker-Lann – la maison de la lande, en breton. Ce vieux manoir délabré avec sa tour et sa chambre de veille au-dessus d’un chaos de granit assailli en permanence par le maelstrom, est l’endroit élu des spectres. C’est avec et contre eux que le narrateur se débat dans la quête d’une logique du rêve qui laissât en paix la réalité déjà frappée de suspicion. La Bretagne cultive volontiers le maléfice du roi pêcheur envers quiconque croit s’y mettre à l’abri du monde. Par chance l’Océan gronde dans les grands arbres de Ker-Lann…

Kyoto – « Moins de dix ans plus tôt, à Kyoto, j’avais fini par pouvoir soutenir une conversation, certes élémentaire, que l’anglais venait corriger. Parler enfin dans sa langue à la femme qu’on aime est le comble de la volupté, après la distraction des mots exotiques lascivement chuchotés à l’oreille. La jolie caissière du théâtre nô m’apprit l’étrangeté de la pudeur aux antipodes. Chacun rougit derrière ses mots. » (page 113)

Maître de Lassis – « La seule œuvre sauvée du Maître de Lassis était devant mes yeux. J’avais pu en apprécier naguère la pâle copie dans un magazine. Il m’indifférait de savoir comment le tableau se trouvait chez l’arrière petite-fille du peintre. » (page 283)

Mémoire – Cette enquête de mémoire que tout journal intime ambitionne butte ici sur le secret romanesque par excellence, le “muet incendie de la mémoire”, expérience intraduisible en mots et qu’il faudrait revivre, expérience fondamentale liée au coma, à la mort manquée de peu, et donc à la naissance. Une hantise parcourt ainsi secrètement le récit et le porte à l’insu même du lecteur à l’endroit même où son esprit, son rêve intime, rejoint par une sorte de magie le fil secret du roman, où une coïncidence s’opère. Le narrateur de Géométrie d’un rêve devient alors comme la mémoire chuchotante du lecteur.

Mozart – « Mozart est le dernier enchanteur. (…) La perfection en art a soif de hasards, c’est le sens de l’inspiration, tout se répète et tout change, comme la mer et le ciel de Bretagne, au gré d’harmonies convergentes. » (page 373)

Romancier – « L’authentique romancier est une sorte d’enquêteur qui passe en revue toutes les solutions imaginaires : assuré de trouver parmi elles une explication tangible, c’est rarement cette dernière qu’il exploitera. Même le plus réaliste optera pour l’invraisemblable, histoire de toréer avec un monstre de taille. » (page 114)

Voyage – « Je pourrais écrire ainsi son histoire, si j’en avais le cœur: dans ses voyages, en grand secret, elle change, il lui semble rajeunir, devenir une autre vraiment, des souvenirs lui viennent qu’elle n’a pas vécus ou qu’elle a oubliés, comme si une autre existence lui était donnée, comme si elle entrait dans le corps et les pensées d’une autre femme, plus jeune chaque nuit, plus jeune et plus libre, et si différente, comme si vraiment, chaque nuit, elle devenait une autre. » (page 19)